A l’heure où l’actualité politique française est secouée par de fortes fractures économiques et sociales, dans un contexte d’urgence à agir pour le climat, 36 ans après la loi LOTI et à l’aune des révolutions numériques, réformer les mobilités en France relève de la nécessité.

Au-delà des questions physiques, de flux de personnes ou de biens, et des questions techniques et opérationnelles, modifier le cadre général des politiques de mobilités soulève des interrogations multiples, interdépendantes, en termes de géographie sociale, de politiques urbaines, d’intégration/de développement économique, de solidarité territoriale, de péréquations fiscales, d’accès à l’éducation, à la culture, à la santé… Face à ces enjeux, quelle est la réponse apportée par le gouvernement ? Le projet de loi, plusieurs fois retardé, a finalement été présenté au Conseil des Ministres en novembre dernier. En voici les cinq points essentiels.

 

1 / La loi mobilités : une boîte à outils large

Le projet de loi, découpé en 5 titres, traite 5 pans très différents de la mobilité :
– la gouvernance,
– le révolution des nouvelles mobilités (intégrant la question numérique et celle de la gestion des données)
– le développement de mobilités propres et actives
– les investissements de l’Etat dans les transports (notamment ferroviaires et de fret)
– des mesures diverses comprenant la sûreté, la sécurité, la compétitivité et la coopération internationale.
Le projet vise ainsi à encadrer les multiples acteurs des mobilités, dans des secteurs très divers.

 

2 / Le passage du droit des transports au droit à la mobilité

Ce changement de paradigme permet de couvrir l’ensemble des enjeux liés à la mobilité, au-delà du simple accès aux transports collectifs ou aux infrastructures.

Cela prend tout son sens dans les territoires peu denses, où les transports en commun se raréfient. L’article 5 prévoit notamment un plan de mobilité rurale, « afin de répondre aux spécificités des territoires à faible densité démographique et d’y améliorer la mise en œuvre du droit à la mobilité. »
Dans cette perspective, le versement « transport » évoluera en un versement « mobilité ». Cette contribution versée par les employeurs, en fonction de leur masse salariale, finançait le budget des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) dans leurs dépenses d’investissement et de fonctionnement des transports publics . Désormais, ce prélèvement pourra financer les mobilités actives et partagées pour améliorer la coordination et faciliter l’émergence de nouvelles mobilités.

 

3 / La promotion et la régulation des alternatives à la voiture individuelle

– Encourager les mobilités actives

° Le covoiturage : les AOM et les régions seront désormais en capacité de développer des incitations à la pratique du covoiturage. Cela pourra se traduire par des soutiens financiers, par la création d’infrastructures dédiées (emplacements de stationnement, voies réservées, etc). Les employeurs pourront verser jusqu’à 400 € par an, exonérés de charges ou d’impôts, aux salarié.e.e.s ayant recours au vélo ou au covoiturage pour leurs déplacements domicile-travail. C’est ce qu’on appelle le « forfait mobilité durable ».

° Le vélo : les pôles d’échanges multimodaux et les bâtiments neufs ou rénovés devront être équipés de stationnements pour vélos. La RATP et la SNCF seront dans l’obligation d’installer des stationnements sécurisés pour les vélos en gare avant le 1er janvier 2024. Pour combattre les vols et les recels de vélo, les vélos seront marqués lors de leur vente chez un professionnel.

 

– Offrir des mobilités solidaires et inclusives

Le chapitre 3 du projet de loi traite de la « mobilité solidaire ». Les AOM auront la possibilité de mettre en œuvre des « services de mobilité à caractère social », « de dispenser des aides individuelles pour des personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale ».
Les AOM pourront également établir des politiques tarifaires préférentielles pour les personnes en situation de handicap, de réserver des places accessibles aux personnes à mobilité réduite (PMR) aux bornes de rechargement électrique (articles 6, 7 et 8).

 

– Développer les mobilités innovantes…

° … par l’ouverture des données d’ici fin 2021 : sont concernées les données statiques (arrêts, horaires, tarifs) et les données dynamiques (horaires, perturbations, disponibilités des véhicules en libre-service) des transports en commun réguliers (bus, métros, bateaux, trains, avions).

° … grâce à un encadrement des nouvelles mobilités : Les AOM pourront établir des cahiers des charges en ce qui concerne les nouveaux services de mobilité (ex : free floating). Les maires pourront adopter des règles de circulation pour les nouveaux engins de déplacement individuels (ex : trottinettes, gyropodes). Ceux-ci seront intégrés au code de la route, avec une interdiction générale de circulation sur les trottoirs. Dans le cadre de la stratégie nationale pour le véhicule autonome, sera élaboré le cadre juridique permettant leur circulation.

° Quid des véhicules électriques ? Leur utilisation effective sera facilitée (infrastructures pour recharge électrique obligatoires dans les parkings de plus de 10 places des bâtiments neufs ou rénovés, droit à la prise simplifié, etc).

 

– Diminuer la circulation des véhicules les plus polluants

Des zones à faibles émissions seront progressivement déployées (ZFE). Celles-ci permettront aux collectivités d’interdire la circulation aux véhicules les plus polluants, selon les critères de leur choix (horaires, zones, types de véhicules…). Les contrôles sur les émissions des véhicules à moteur seront renforcés.

 

4 / La création d’autorités organisatrices de la mobilité sur l’ensemble du territoire pour une gouvernance clarifiée

Actuellement, 80% du territoire représentant 30% de la population ne dispose pas d’AOM. Le projet de loi propose une révision de la gouvernance territoriale des mobilités, afin de pallier à ce manque.

 

– Gouverner la mobilité à des échelles adaptées

De manière générale, l’exercice effectif de la compétence mobilité reviendra aux mains des intercommunalités (EPCI) et par défaut, aux régions. Le rôle de chef de file des régions sera renforcé, elles devront en tant qu’autorité organisatrice de la mobilité régionale (AOMR), assurer l’intermodalité à grande échelle, notamment par le biais de service d’information et de billettique multimodales.
Des mesures spécifiques supplémentaires pourront être mises en œuvre afin de garantir la gouvernance de la compétence mobilité à une échelle pertinente et d’adapter le plus finement la coopération entre les échelons local et régional en fonction des besoins et des volontés de chacun. La région, en tant qu’AOM ou AOMR, pourra déléguer tout ou partie de ces missions à une EPCI, à une collectivité territoriale ou à une autre AOM. Par exemple, le service de car express pourrait être délégué à une ou plusieurs AOM, sans pour autant leur attribuer l’ensemble des lignes de bus régionales. Si besoin, la création de syndicats mixtes est encouragée pour exercer cette compétence à l’échelle la plus adaptée.

 

– De quelles compétences disposeront les AOM ?

Les AOM se voient dotées…
– … des compétences transports : organisation des services de transports publics, des transports scolaires, des transports à la demande, des transports de marchandises et de logistiques urbaines si besoin
– … des compétences mobilités partagées : développement et organisation des services de covoiturage, d’autopartage
– … des compétences mobilités actives : développement du vélo, de services de locations de vélo, de la marche
Elles ont en outre la charge d’élaborer pour les agglomérations de plus de 100 00 habitant.e.s des plans de déplacements urbains, des outils d’aide aux décisions publiques et privées ayant trait aux mobilités, un service d’information aux usager.e.s. Leur est également confiée la faculté d’établir des plans de mobilité rurale.

 

– Un travail en collaboration

Des comités de partenaires seront créés au sein de chaque AOM, afin de réunir les acteurs concernés. Il est prévu que ceux-ci soient obligatoirement consultés avant tout changement de l’offre de mobilité, de la politique tarifaire, ou sur des questions relatives à la qualité des services et de l’information.

 

5 / Une programmation des infrastructures : une augmentation des investissements

Sur la période 2018-2022, 13,4 milliards d’euros d’investissements sont prévus, soit une augmentation de 40% par rapport à la période 2013-2017. Ce budget sera dédié à l’entretien des réseaux existants, la désaturation des grands nœuds ferroviaires, au désenclavement routier des villes moyennes et des territoires ruraux, à l’accompagnement au développement de mobilités propres, partagées, actives au quotidien, et au report modal dans le transport de marchandises.

 

Si le projet propose une vision exhaustive des mobilités et offre des avancées certaines vers des pratiques de mobilité durable, la question reste entière de savoir si cela constitue une réponse suffisante aux fractures sociales et territoriales et face à aux urgences environnementales et climatiques…