Engins en free floating, voitures autonomes, vélos électriques, gratuité des transports en commun… Au cours de ces dernières années, la mobilité s’est enrichie de nouveaux usages et concepts. A moyen et long termes, ces mobilités« disruptives » vont vraisemblablement induire des changements urbains, paysagers, économiques. Rezo Pouce consacre une série d’articles quant aux nouvelles mobilités, en essayant de décrire ces phénomènes et d’analyser leurs avantages, leurs limites et de réfléchir à leurs impacts en termes d’aménagement du territoire (transferts modaux, rabattements, structuration urbaine, …).

Le MAAS ou le tout-en-un de la mobilité

Créer un service de MaaS pérenne économiquement est un lourd défi. Quel tarif suffisamment attractif pour l’usager et rentable pour les membres du consortium ? Comment calculer le partage de la valeur entre l’opérateur de MaaS et les services de mobilité ? Alors que certains acteurs de la mobilité peinent à réaliser des bénéfices, les convaincre de faire partie intégrante d’un MaaS ne se fera qu’à partir de la promesse d’un maintien, voire une augmentation du nombre d’usager.e.s.

Vers un idéal de « mobilité sans couture »?

Au XXIème siècle, il n’est plus nécessaire de posséder un bien pour bénéficier de son usage. Dans le domaine de la mobilité, le MAAS traduit ce nouvel idéal de consommation, vers une ville et une vie sans voiture personnelle et vers une optimisation parfaite des déplacements individuels grâce à des biens et des services partagés.

Du côté de l’usager.e

Adieu les billets sans correspondance entre le métro et les bus parisiens, adieu le temps limité pour l’utilisation d’un ticket, adieu les multiples applications pour réserver un véhicule partagé, adieu le temps passé pour chercher une place de stationnement ! Fluide, le MaaS promet une amélioration de la qualité de service. On passe d’une prestation de transport à un service d’information et de billettique multimodales par smartphone.

Du côté des acteurs de la mobilité

L’opérateur Maas identifie l’ensemble des modes de transport existants ; il comprend à la fois les transports en commun (tramway, bus, métro) et les transports privés (VTC, auto-partage, covoiturage opéré par un acteur privé, etc.). Il négocie avec ces acteurs pour construire un abonnement unique ou des formules intermodales sur-mesure. Les bénéfices seront redistribués aux partenaires en fonction des utilisations constatées.

L’exemple de l’application Whim à Helsinki (aussi développé à Anvers, Birmingham, Vienne et Singapour)

 

 

Il existe 3 forfaits, tous sans engagement :

  • Le Whim to go : 0€, paiement au trajet, sans surcoût ;
  • Le Whim urban : 49€ / mois, accès illimité aux transports publics, location 30 minutes des vélos en libre-service incluse, 10€ supplémentaires pour chaque trajet en taxi, 49€ supplémentaires pour la location de voiture à la journée ;
  • Le Whim unlimited : 499€ / mois, accès illimité aux transports publics, aux vélos en libre-service, aux taxis, à la location de voitures.

Des défis de taille à relever

Monter un modèle économique et des partenariats commerciaux solides

Créer un service de MaaS pérenne économiquement est un lourd défi. Quel tarif suffisamment attractif pour l’usager et rentable pour les membres du consortium ? Comment calculer le partage de la valeur entre l’opérateur de MaaS et les services de mobilité ? Alors que certains acteurs de la mobilité peinent à réaliser des bénéfices, les convaincre de faire partie intégrante d’un MaaS ne se fera qu’à partir de la promesse d’un maintien, voire une augmentation du nombre d’usager.e.s.

Inciter les usager.e.s au changement comportemental

Comment sensibiliser les automobilistes à se déplacer autrement ? Comment attirer les adeptes du monomode et les inciter à modifier leurs pratiques ? L’accès à l’information multimodale constitue un véritable levier. Elle contribue à l’amélioration de la motilité des usager.e.s : elle renforce la connaissance et la compétence des individus à se déplacer autrement. 5 à 20% des déplacements en transports en commun n’ont pas lieu à cause d’un manque d’information ou de lisibilité de l’information[1]. Il y a donc un potentiel à développer ! Selon Laurent Chevereau (CEREMA), trois étapes sont à franchir pour réaliser les changements de comportement :

Développer le service pour tou.te.s

Le MaaS cible une population urbaine, connectée, composée des catégories socio-professionnelles favorisées, chez qui l’usage de la voiture diminue déjà. Aussi, le MaaS offre encore plus de mobilité à celles et ceux qui sont déjà les plus mobiles.

Rezo Pouce, sensible à l’accès à la mobilité sur tous les territoires, souhaite la prise en compte des périphéries et des campagnes, voire leur intégration dans un tel système : aires de covoiturage, parkings vélo, bus régionaux, etc. Les opérateurs privés, dans leur modèle économique, se concentrent rarement sur les milieux peu denses. Une implication des pouvoirs publics est donc nécessaire :

  • pour favoriser la multi-modalité : inciter aux pratiques de covoiturage, développer l’auto-stop organisé, le vélo électrique, améliorer l’offre de TAD etc.
  • pour le rendre accessible financièrement au plus grand nombre via une tarification spéciale, des subventions, etc.

Rezo Pouce se soucie également que cette solution soit uniquement numérique. En 2017, 3 personnes sur 10 ne possédaient pas de smartphone et 1 personne sur 10 ne se connectait jamais à internet (échantillon de 2209 personnes âgées de 12 ans et plus)[2]. Cela touche plus particulièrement certaines catégories socio-économiques : seules 5 personnes sur 10 des personnes non-diplômées ont l’usage d’internet. Chez les personnes retraitées, ce chiffre atteint 6 sur 10.

La gouvernance, un enjeu politique et économique fort

Le MaaS, service public ou privé ?

Les ancêtres du MaaS, les systèmes d’informations multimodales étaient développés dès les années 2000 par les collectivités. Coûtant relativement chers, la qualité de service varie selon les territoires. Intégrer la billettique constitue une nouvelle piste de financement. De nombreux acteurs privés, notamment mondiaux, se positionnent également sur ce marché, et créent leur propre plateforme multimodale, sans lien contractuel avec les autorités publiques. Par exemple, Uber va bientôt inclure les transports en commun à son application à Denver, avec l’ambition de devenir l’unique point d’entrée, et ainsi, de dépasser les concurrents VTC. De quelles capacités de négociation disposent les collectivités ? Les autorités organisatrices de la mobilité pourraient-elles encadrer ces pratiques ? Comment les politiques publiques pourraient-elles favoriser la mobilité durable à travers le MaaS ?

La question des données et l’enjeu des algorithmes

Les données permettent de connaître finement les pratiques des individus, notamment de consommation. Elles proviennent de différentes sources : les collectivités (l’Open Data est fortement encouragé par la Commission Européenne et le gouvernement[3]), les usager.e.s (émises et récupérées volontairement ou involontairement), les services privés. Ces informations, cruciales pour toute stratégie commerciale, économique, politique, constituent un enjeu de taille. Pour assurer la gouvernance de la donnée, la collectivité peut avoir le rôle de régie, agissant comme un « tiers de confiance garant de l’intégrité des traitements et croisements des données – de source publique, privée et contributive » (CEREMA, 2016).

Le service de MaaS travaille à partir de ces gigantesques masses de données – les Big Data. Des algorithmes calculent des modèles – les patterns ou profils. Ils anticipent les choix possibles de l’individu, considèrent les « meilleurs » trajets selon certaines modalités. L’opérateur de MaaS devra donc être très transparent vis-à-vis de ses intentions et des algorithmes utilisés, en particulier si des incitatifs ou des recommandations à utiliser tel ou tel service sont proposées. Antoinette Rouvroy du Centre de recherche en information, droit et société (CRIDS) déclare ainsi : « les algorithmes n’ont pas d’intention, pas même de prendre le pouvoir, mais ils ne doivent pas nous dispenser, nous, d’avoir des intentions […] l’enjeu n’est pas d’exiger la transparence du code, mais celle des finalités ».

Conclusion

Le MaaS, loin d’être une utopie, est mis en œuvre dans de nombreuses métropoles précurseures. Permettant une mobilité fluide, « seamless »[4], entre différents modes de déplacement, c’est une solution pleine de promesses en termes de report modal, baisse du niveau de CO2 et qualité de service. A l’heure actuelle, le MaaS est loin d’être une réalité, l’urgence réside autour des enjeux de gouvernance, de modèles économiques et de développement de partenariats. Soucieuse de ne pas renforcer le sentiment d’isolement des milieux peu denses, Rezo Pouce s’interroge sur la transposition de cette « smart mobility » à d’autres territoires que les métropoles.

Sources :

[1] Étude de l’Union International des Transports Publics, janvier 2008, citée dans L’information multimodale, Quelle place pour les acteurs publics à l’heure de l’ouverture des données ? Cerema, juillet 2016

[2] CREDOC, Enquêtes sur les «Conditions de vie et les Aspirations». Les chiffres entre parenthèses reposent sur des effectifs faibles, ils sont à considérer avec précaution.

[3] Loi « Macron », loi « NOTRe », loi « Valter » 

[4] Sans couture, en anglais